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Régime espagnol de leasing fiscal : le Tribunal de l'UE confirme la qualification d’aide d’État et la récupération

Affaires - Droit économique
Public - Droit public des affaires
04/11/2020
Le Tribunal de l’Union européenne revoit sa copie dans l'affaire du régime espagnol de leasing fiscal pour appuyer la position de la Commission européenne : dans une décision de renvoi du 23 septembre 2020 concernant des aides dans le marché des ventes de navires, il revient sur le critère de la sélectivité et la détermination des bénéficiaires.
L’affaire en question concernait le « régime espagnol de leasing fiscal ». Il s’agissait d’un dispositif permettant aux compagnies maritimes de bénéficier d’une réduction de 20 à 30 % à l’achat de leurs navires en procédant à un montage mettant en scène un chantier naval, une banque, une société de location-vente et un groupement d’intérêt économique (GIE). Le GIE, constitué par la banque, prenait à bail le navire d’une société de location-vente dès le début de la construction et le louait ensuite à la compagnie maritime sous couvert d’un contrat d’affrètement coque nue. Le GIE s’engageait, pour sa part, à acheter le navire au terme du contrat de location-vente, et la compagnie maritime à l’acheter au terme du contrat d’affrètement. Le GIE bénéficiait, dans ce cadre, d’un ensemble de mesures fiscales, parmi lesquelles un amortissement accéléré ou anticipé des actifs faisant l’objet d’une location-vente.

La procédure

La Commission européenne avait initialement qualifié le régime espagnol de leasing fiscal d’aide d’État illégale puisqu’appliquée sans notification préalable. Sur recours le Tribunal s’était ensuite opposé à elle en considérant, dans un premier temps, que devaient être considérés comme bénéficiaires de cette aide les investisseurs des GIE, puis, dans un second temps, que n’importe qui pouvait investir dans un GIE et bénéficier de ces aides. Il en concluait que l’avantage fiscal en question n’était pas sélectif et ne pouvait donc constituer une aide d’État. Sur recours de la Commission, la CJUE avait, quant à elle rappelé que (i) une structure juridique ne pouvait exclure per se qu’elle soit reconnue bénéficiaire d’une aide d’État et que (ii) seule la possibilité pour tous les acteurs de bénéficier de l’avantage litigieux ne pouvait suffire à exclure la qualification d’aide d’État. Le Tribunal, aurait dû, selon elle, chercher si, dans les faits, un traitement différencié n’avait pas pu être observé à l’égard de ces GIE.
C’est donc sur renvoi que Tribunal de l’Union européenne s’est prononcé. Il a ici suivi un tout autre raisonnement que celui de sa décision du 17 décembre 2015.

Sur la sélectivité de l’aide

Dans cette nouvelle décision, le Tribunal a relevé que l’administration fiscale pouvait accorder l’amortissement anticipé sur la base de critères vagues lui laissant une grande marge d’appréciation et pouvant donc conduire à un traitement différencié des assujettis. Il a donc considéré, comme la Commission, que cet avantage était bien sélectif. En outre, le marché de la vente de navires maritimes étant ouvert au commerce entre États membres, la réduction du prix était susceptible de fausser la concurrence sur ce marché. Le Tribunal a donc confirmé que le dispositif en question constituait bien une aide d’État.
Par ailleurs, les requérants (l’Espagne ainsi que deux sociétés de location-financement et de soutien aux petits et moyens chantiers navals) avaient contesté l’ordre de récupération de l’aide.

Sur la récupération des aides d’État illégales

Le Tribunal a ici rejeté tous les moyens des requérants. Elle a rappelé, en premier lieu, que l’exigence de sécurité juridique avait bien été prise en compte.
En effet, une décision Brittany Ferries de la Commission du 8 mai 2001 avait fait naître une certaine insécurité juridique à laquelle une décision du 30 avril 2007 portant sur les GIE fiscaux français avait mis fin. Or, c’est bien l’avantage accordé à compter de cette dernière décision que la Commission a exigé de rembourser.
En outre, les requérants contestaient la récupération de l’intégralité de l’aide auprès des investisseurs des GIE, alors même qu’ils en avaient répercuté une partie aux compagnies maritimes, par le biais de la réduction des prix d’achat. Le Tribunal est, sur ce point, venu appuyer le raisonnement de la Commission, considérant que, compte tenu de la transparence fiscale des GIE, ce sont leurs investisseurs eux-mêmes qui avaient bénéficié de l’aide. De plus, avoir répercuté l’aide auprès des compagnies maritimes était un choix de leur part, indépendant de toute obligation légale et ne pouvait donc suffire à qualifier ces compagnies de bénéficiaires effectifs.
 
Pour aller plus loin :
Au sujet de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 juillet 2018, voir Le leasing de navires en Espagne : encore un régime fiscal épinglé par la CJUE, Actualités du droit, 5 sept. 2018.

Pour plus de détails sur les aides d’État, voir Le Lamy Droit économique, n° 2210 et s., et le Lamy Droit public des affaires, n° 700 et s.


 
Source : Actualités du droit