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Un nouvel arrêté anti-burkini suspendu par le Conseil d’État

Public - Droit public général
19/07/2023
Par une décision du 17 juillet 2023, le Conseil d’État a suspendu un arrêté du maire de Mandelieu-la-Napoule interdisant le port de certaines tenues sur les plages de la commune. La Haute Cour considère que cette interdiction, qui viserait en réalité « le port de tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse » porte atteinte de manière grave et illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle.
Par un arrêté du 7 juin dernier, le maire de Mandelieu-la-Napoule a réglementé les conditions d’accès aux plages et à la baignade dans la ville pour la période du 15 juin au 31 août 2023. La Ligue des droits de l’homme a saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, qui a refusé de suspendre l’arrêté, et se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État.
 
Tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse 
 
L’arrêté interdisait l’accès aux plages et à la baignade :
  • « à toute personne ayant une tenue non respectueuse des règles d’hygiène et de sécurité » ;
  • « à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraîner, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents ».
 
Il interdisait l’accès à la seule baignade « à toute personne dont la tenue est susceptible d’entraver ses mouvements et de compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade ».
 
Bien que cela ne soit pas inscrit tel quel dans l’arrêté, le Conseil d’État a annoncé que « par cet arrêté, le maire de Mandelieu-la-Napoule a entendu prohiber, sur les plages de la commune, le port de tenues manifestant de façon ostensible une appartenance religieuse », et indiqué qu’il s’agissait de l’ « objet réel de l’arrêté attaqué ».
 
 Le maire est chargé par l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales de la police municipale, qui, selon l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
L’article L. 2213-23 prévoit que : « Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques (…) ».
 
Règles adaptées, nécessaires et proportionnées
 
La Haute Cour rappelle dans sa décision du 17 juillet 2023 (n° 475636) que le maire doit concilier sa mission de maintien de l’ordre avec le respect des libertés garanties par les lois, et annonce que les mesures de police réglementant l’accès à la plage et à la baignade « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage ».
 
Le maire de la commune faisait valoir que son arrêté permettait :
  • de prévenir les troubles à l’ordre public ;
  • d’assurer le respect des règles d’hygiène et de sécurité en période de forte affluence estivale.
 
Le Conseil étudie la motivation avancée par la commune et constate qu’elle est insuffisante et ne démontre pas la proportionnalité des mesures.
 
L’arrêté mentionne comme motifs à l’interdiction de ces tenues :  
  • « une altercation suivie d’une bousculade qui a eu lieu sur une plage de la commune au mois de juillet 2012 entre plusieurs femmes « habillées » et des baigneurs de la plage » ;
  • « une plainte déposée, le 25 août 2016, par la commune et un policier maître-nageur chargé de la surveillance des plages, à la suite de faits de menaces, tentative de violence, propos à caractère raciste et apologie du terrorisme » ;
  • le « contexte particulier de menace terroriste à la suite des attentats commis à Nice les 14 juillet 2016 et 29 octobre 2020 et de tensions au sein de la population à l’échelle nationale ».
 
Or, selon la Haute Cour ni ces incidents, dont elle rappelle qu’ils se sont produits il y a onze et sept ans « ni le contexte de menace terroriste persistante » ne font apparaître un risque avéré de troubles à l’ordre public. De plus, la commune ne démontre pas dans quelle mesure le port de ces tenues pourrait entrainer des risques pour l’hygiène ou la sécurité des usagers.
 
Il en résulte selon le Conseil que l’arrêté du maire de la commune de Mandelieu-la-Napoule porte une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales :
  • la liberté d’aller et venir ;
  • la liberté de conscience ;
  • la liberté personnelle.
 
Si le conseil a adopté cette solution en application d’une jurisprudence constante, il est à noter qu’il  avait adopté une solution contraire au sujet du port des mêmes tenues cette fois au sein des piscines municipales et non des plages. En effet, alors que la ville de Grenoble avait modifié le règlement intérieur de ses piscines municipales en mai dernier en vue d’autoriser le port du « burkini », le Conseil d’État avait suspendu cette disposition par une  ordonnance du 21 juin 2022 (CE, ord. 21 juin 2022, n° 464648, voir Burkini : le Conseil d'Etat valide la suspension du règlement intérieur des piscines de Grenoble, Actualités du droit, 21 juin 2022). Il avait considéré qu’une telle règle portait atteinte à la neutralité du service et à l’égalité de traitement des usagers, et précisé que l’article 1er de la Constitution, en vertu duquel « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances », interdisait de se prévaloir de croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes.

Ainsi, si le port du burkini est considéré comme non susceptible de causer des troubles à l’ordre public sur les plages, il porte atteinte au principe de neutralité et à l’égalité de traitement des usagers au sein des piscines municipales.
Source : Actualités du droit