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Possible dispense de rapporteur public : dispositions de nature législative

Public - Droit public général
18/05/2022
Dans un arrêt du 12 mai 2022, le Conseil d’État a déclaré irrecevable le moyen tiré de l’inconstitutionnalité des dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 permettant une dispense de communication du sens des conclusions du rapporteur public. Ces dispositions sont, selon la Haute cour, de nature législative, et ne peuvent être contestées que par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Les requérants contestaient l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel au sujet de leur litige au motif que le président de la formation de jugement avait dispensé le rapporteur public du prononcé de ses conclusions. Cette possibilité était en effet prévue par l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, prise sur habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
 
Les requérants faisaient valoir que ces dispositions seraient contraires au principe d’égalité devant la justice garanti par la Constitution car elles ne fixaient aucun critère objectif pour cette dispense et laissaient au président de la formation de jugement un pouvoir discrétionnaire.
 
Dispositions de nature législative
 
La Haute cour, dans un arrêt du 12 mai 2022 (CE, 12 mai 2022, n° 444994, Lebon T.), annonce que les dispositions contestées sont de nature législative et non réglementaire et ne peuvent donc être contestées en dehors du cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
 
Elle rappelle que c’est bien un texte législatif qui encadre l’existence du rapporteur public. En effet, l’article L. 7 du code de justice administrative prévoit : « Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ». L’article L. 732-1 du même code permet au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur d’exposer ses conclusions « dans des matières énumérées par décret en Conseil d'État » et « eu égard à la nature des questions à juger ». Ces matières sont fixées par l’article R. 732-1-1.
 
Le texte litigieux, à savoir l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, dispose : « Le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience des conclusions sur une requête ». Cette disposition n’a pas été ratifiée.  
 
Le Conseil rappelle qu’une habilitation prise sur le fondement de l’article 38 de la Constitution autorise le gouvernement « à adopter des mesures qui relèvent du domaine normalement réservé à la loi », et que les ordonnances « conservent le caractère d'actes administratifs, aussi longtemps qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une ratification ». Ainsi, « leur légalité peut être contestée, y compris au regard des règles et principes à valeur constitutionnelle, par la voie d'un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'État, compétent pour en connaître en premier et dernier ressort, ou par la voie de l'exception, à l'occasion de la contestation d'un acte ultérieur pris sur leur fondement, devant toute juridiction ».
Ce régime change après l’expiration du délai d’habilitation : la contestation des dispositions relevant du domaine de la loi d'une ordonnance non ratifiée ne peut se faire que par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité.
 
Contestation par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité
 
Le Conseil étant saisi à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir de la conformité à la Constitution des dispositions d’une ordonnance non ratifiée après l’expiration du délai d’habilitation, il lui revient de déterminer si les dispositions relèvent ou non du domaine de la loi.
 
L’intervention du rapporteur public prévue par l’article L. 7 du CJA relève « des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » au sens de l’article 34 de la Constitution. Ainsi, la possibilité de dispense doit également être prévue par un texte de nature législative, comme c’est le cas de l’article L. 732-1 du CJA. Il en résulte que les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoyant la possibilité de dispenser l’intervention du rapporteur relèvent également du domaine de la loi.
 
La Haute cour suit la rapporteure Marie-Gabrielle Merloz, qui avait indiqué dans ses conclusions « que les dispositions litigieuses doivent, dès lors qu’elles dérogent à des dispositions législatives, elles-mêmes être regardées comme de valeur législative, sauf à passer par la procédure de délégalisation prévue au second alinéa de l’article 37 de la Constitution ».
 
Le Conseil déclare ainsi : « Si les dispositions de la procédure applicable devant les juridictions administratives relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, tel n'est pas le cas des dispositions de l'article L. 7 du code de justice administrative prévoyant l'intervention du rapporteur public, lesquelles relèvent des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Dès lors, relèvent également du domaine de la loi les dispositions de l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020, qui dérogent aux dispositions de l'article L. 7 et s'ajoutent, de façon temporaire, à la dérogation résultant déjà de l'article L. 732-1 du code de justice administrative. »,
 
Il en conclut que la conformité de ces dispositions à la Constitution ne peut être contestée que par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité, et déclare le moyen irrecevable.
Source : Actualités du droit