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Mineur non accompagné : pas de décision de retour en l’absence d’un accueil adéquat dans l’État de retour

Public - Droit public général
20/01/2021
Avant de prendre une décision de retour à l’encontre d’un mineur non accompagné, l’État membre concerné doit effectuer une appréciation générale et approfondie de la situation de ce mineur, en tenant dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
 
 
Les faits
Un mineur non accompagné entré sur le territoire néerlandais à une date indéterminée, présente le 30 juin 2017, une demande de permis de séjour à durée limitée, au titre du droit d’asile. Celle-ci a été refusée le 23 mars 2018 mais la mesure d’éloignement a été reportée dans l’attente d’un examen médical de l’intéressé et le requérant a saisi la juridiction compétente afin de contester ce rejet. Entre temps, le secrétaire d’État décide qu’aucun report de la reconduite à la frontière pour raisons médicales ne peut être accordé au requérant qui conteste cette décision. Mais celle-ci est également rejetée le 27 mai 2019.
 
La juridiction de renvoi saisie par le mineur non accompagné relève plusieurs éléments :
- après plusieurs entretiens menés avec le mineur pour le préparer à son renvoi, le service de retour a noté un accroissement des troubles psychiatriques de l’intéressé ;
- si le mineur ne peut obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire dans le cadre d’une première demande d’asile, les services concernés examinent d’office s’il peut bénéficier d’un titre de séjour à durée limitée ;
- la législation néerlandaise opère une distinction selon l’âge du mineur non accompagné. S’il est âgé de moins de 15 ans au moment de l’introduction de sa demande, les services concernés sont dans l’obligation d’enquêter afin de savoir s’il existe un accueil adéquat dans l’État de retour. Si tel n’est pas le cas, il se verrait accorder un titre de séjour ordinaire.
Si le mineur est âgé de 15 ans au moins au moment de sa demande d’asile, la même enquête prévue par l’article 10 § 2 de la Directive n° 2008/115/CE (Directive « retour ») ne serait pas menée avant l’adoption d’une décision de retour. Mais dans ce cas, les services concernés attendent que le mineur non accompagné atteigne l’âge de 18 ans pour procéder à une mesure d’éloignement. Ainsi une investigation ne serait plus nécessaire et sa présence sur le territoire bien qu’irrégulière serait tolérée.
 
S’agissant du requérant, la juridiction de renvoi observe que celui-ci serait âgé de 15 ans et quatre mois, le statut de réfugié lui ayant été refusé ainsi qu’un droit de séjour à durée limitée, il serait contraint de quitter le territoire néerlandais. Cependant, la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité de la législation nationale qui opère une distinction fondée sur l'âge entre les mineurs non accompagnés et le droit de l’Union, notamment au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant visé par la Directive « retour »et la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
 
C’est dans ce contexte que le Tribunal de la Haye a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles examinées successivement.
 
Les questions préjudicielles et réponses de la CJUE
Première question
Avant de procéder à une mesure d’éloignement d’un mineur non accompagné, un État membre doit-il procéder à une investigation afin de s’assurer que le pays d’origine offre en principe un accueil adéquat et disponible, conformément à la Directive « retour » et à la Charte ?
 
Dans la mesure où le requérant s’est vu refuser le statut de réfugié ainsi que la protection subsidiaire et que sa demande de titre de séjour à durée limitée a été rejetée, la CJUE considère qu’il remplit les conditions pour relever du champ d’application de la Directive « retour ». Et les mineurs non accompagnés relèvent de la catégorie des « personnes vulnérables » visées par la Directive. À ce titre, les dispositions de la Directive mentionnent « l’intérêt supérieur de l’enfant », ce qui a pour conséquence de ne pas traiter ces mineurs comme des adultes, selon la Haute juridiction européenne.
 
De même, en application de l’article 10 § 1 de la Directive « retour », une décision de retour relative à ces mineurs doit être prise en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les États membres doivent donc s’assurer que le mineur sera remis à un membre de sa famille, à un tuteur désigné ou à des structures d’accueil adéquates dans l’État de retour (Dir. 2008/115/CE, art. 10 § 2).
 
Selon le gouvernement néerlandais, l’obligation de procéder à une investigation interviendrait seulement au stade de l’éloignement du territoire de l’État membre concerné.
 
Mais la CJUE, considère qu’une telle position placerait le mineur dans une grande incertitude et serait contraire au principe de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant visé par la Directive et la Charte. C’est pourquoi, la Cour énonce qu’une investigation doit être menée dans l’État membre concerné avant toute décision de retour afin de s’assurer que le mineur bénéficiera d’un accueil adéquat. Ainsi, si les possibilités d’accueil ne sont pas réunies, le mineur ne pourra pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement.
 
Deuxième question
Un État membre peut-il opérer une distinction entre les mineurs non accompagnés selon le seul critère de leur âge en vue de vérifier l’existence d’un accueil adéquat dans l’État de retour ?
 
Si l’âge du mineur est un élément à prendre en compte dans le cadre d’une mesure d’éloignement notamment au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est également cette même considération qui va présider à la mise en œuvre d’une décision de retour, y compris pour les mineurs de plus de 15 ans, selon la CJUE. Dans ces conditions, la Haute juridiction européenne considère qu’une « appréciation générale et approfondie, et non une évaluation automatique en fonction du seul critère de l’âge » doit être menée par l’État membre concerné.
 
La CJUE déclare que la pratique du gouvernement néerlandais consistant à opérer une distinction fondée sur l’âge alors que tous ces mineurs sont dans une situation de vulnérabilité comparable, apparaît comme arbitraire.
 
Troisième question
L’État membre qui prend une décision de retour à l’encontre d’un mineur non accompagné, sans prendre ensuite de mesures d’éloignement jusqu’à ce que le mineur atteigne l’âge de 18 ans, contrevient-il au principe de coopération loyale et au principe de loyauté ?
 
La CJUE rappelle que la Directive « retour » vise à faciliter les mesures d’éloignement et de rapatriement à l’échelon européen, dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes concernées. Les États membres sont donc tenus de mettre en œuvre cette Directive en procédant à l’éloignement des ressortissants d’État tiers séjournant irrégulièrement sur leur territoire.
 
Une fois que l’État membre s’est assuré qu’un accueil adéquat serait disponible pour le mineur non accompagné dans l’État de retour, rien ne s’oppose à son éloignement, selon la CJUE.
 
Dans ces conditions, la Cour de justice de l’Union européenne énonce que selon les dispositions de la Directive, un État membre après avoir adopté une décision de retour à l’encontre d’un mineur non accompagné, ne peut ensuite s’abstenir de procéder à son éloignement jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 18 ans.
 
 
Source : Actualités du droit