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Crise de l’énergie : la France se prépare au délestage

Public - Droit public des affaires
06/01/2023
Dans le cas où les appels à la sobriété énergétique et les efforts pour assurer la sécurité d’approvisionnement ne suffiraient pas à assurer l’équilibre du réseau électrique, des mesures de délestage seraient programmées pour éviter un black-out. Pour se préparer à cette éventualité, RTE, Enedis et le Gouvernement ont préparé de concert un plan d’action, communiqué aux préfets par une circulaire du 30 novembre 2022.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris Dauphine-PSL
 
« Comme nous vivons sans marge, ou avec des marges infimes, il suffit d’un gros déséquilibre entre la consommation (...) et la production pour qu’un incident mette tout en château de cartes », déclarait Marcel Boiteux, directeur général d’EDF suite à la grande panne de 1978. Cette panne constitue en réalité, avec la tempête de 1999 et la coupure du 4 novembre 2006, les trois situations de délestage d’envergure nationale connues en France. Toutes trois étaient dues à des avaries techniques, sur le réseau national pour les deux premières et sur le réseau européen pour la troisième. Or, pour la première fois, des mesures de délestage programmées à l’échelle nationale pourraient être nécessaires cet hiver 2022. Il s'agirait d’une conséquence de la crise de production inédite que connaît la France, avec la mise à l’arrêt d’une partie de son parc nucléaire.

Le délestage électrique 

Le délestage désigne toute situation nécessitant la coupure temporaire et dirigée de l’alimentation en électricité d’une partie des usagers raccordés au réseau public de distribution d’électricité géré par Enedis, ou par les Entreprises locales de distribution (ELD). Il s’agit de mesures de dernier recours permettant de maintenir l’équilibre offre-demande entre production et consommation, assuré par RTE (réseau de transport d’électricité). Cet équilibre essentiel prévient tout black-out

Le cadre juridique du délestage est prévu à l’article R. 323-36 du Code de l’énergie en vertu duquel les gestionnaires de réseau peuvent mettre en œuvre des dispositifs de délestage du système électrique en cas de situation dégradée et ce dans des conditions définies par arrêté.

L'arrêté du 5 juillet 1990 (NOR : INDG9000485A) fixe les consignes générales de délestage sur les réseaux électriques. Il prévoit, outre les différentes situations techniques pouvant conduire à cette opération, la nécessité de maintenir un service prioritaire de l’électricité ne pouvant faire l’objet de mesures de délestage. Il revient aux préfets d’établir une liste des établissements et individus bénéficiant du service prioritaire. Il s’agit d’établissements répondant aux besoins essentiels de la nation comme les hôpitaux, les installations de défense ou encore les moyens de production d’énergie. En revanche, c’est aux gestionnaires de réseau de distribution qu’il appartient d’informer les usagers en amont des délestages.  

Ces délestages inédits pourraient advenir aux jours les plus froids de l’hiver, lorsque la consommation électrique est la plus importante. Toutefois, les délestages ne sont pas une fatalité : un hiver doux, la bonne mise en œuvre des écogestes et la remise en service de certains réacteurs nucléaires sont autant de facteurs réduisant les risques de délestage.

RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, veille de l’état du réseau et contrôle d’éventuelles tensions sur le système électrique au vu de la météo, la disponibilité des moyens de production et des interconnexions. En cas de délestage, les coupures seraient programmées les jours de semaine, pour des tranches de deux heures, entre 8h et 13h ou 18h et 20h, sur des portions du territoire. 

Pour se préparer au mieux à un délestage programmé, les pouvoirs publics et les gestionnaires de réseau ont élaboré un plan d’action, communiqué par la Première ministre aux préfets par une circulaire du 30 novembre 2022. 

La préparation des opérations 

Afin d’être efficace, un dispositif de délestage programmé nécessite la communication et la coordination de tous les acteurs afin d’anticiper l’impact des délestages sur l’activité. 

La circulaire rappelle aux préfets qu’il leur incombe de déterminer à travers des listes l’ensemble des établissements et usagers concernés par le service prioritaire de l’électricité et de les informer directement et individuellement du fait qu’ils ne sont pas « délestables ». 

En outre, s’agissant des personnes les plus vulnérables, les Agences régionales de santé (ARS) sont chargées de recenser les personnes à haut risque vital et de transmettre ces informations aux gestionnaires de réseau de distribution. En cas de délestage, il appartiendra aux gestionnaires de réseau de distribution d’informer ces personnes avant les coupures.  S’il le faut, les préfets et les ARS sont chargés d’assurer le déplacement de ces personnes à risque. 

Une phase de mise en œuvre opérationnelle en deux temps

Une première phase serait liée à l'émission du signal. Si RTE prédit une période de tension sur le système électrique, une alerte orange ou rouge selon l’intensité du risque, sera émise via Ecowatt, l’application de RTE. Dès lors, le gestionnaire émettra publiquement un signal à J-3 déclenchant la mise en œuvre opérationnelle du plan de délestage. Dès son émission, Enedis et RTE auront la charge de l’essentiel de la communication à destination du grand public. De leur côté, les préfets seraient tenus de diffuser l’information auprès des élus de département.

Toutefois, il reste possible qu’une alerte émise à J-3 ne soit pas, par la suite, confirmée si la situation s’améliore.
Dans le cas contraire, à J-2, RTE confirme la prévision d’un signal rouge Ecowatt. 

Une seconde phase interviendrait lors de la mise en œuvre du plan par les gestionnaires. Ainsi, un jour avant l’éventuel délestage, RTE confirme définitivement son alerte. Il en informe Enedis qui enclenche son plan de délestage et identifie les zones concernées par les coupures à l'aide des données transmises par RTE. Enedis prévient alors les individus qui résident dans ces zones, notamment via un site internet dédié. 

À ce stade, le Gouvernement enjoint les préfets des zones concernées à effectuer une forte communication territoriale afin de diffuser des consignes de sécurité et de prévention. Les préfets devront informer la population en faisant preuve de pédagogie au travers d’outils, comme l’instauration d’une foire aux questions auprès des citoyens. Ils organiseront une présence physique de policiers, gendarmes et pompiers dans les lieux concernés par les coupures pour intervenir en cas d’urgence. Enfin, les préfets ont ordre de travailler avec les autorités organisatrices de transport pour vérifier la capacité à maintenir la circulation des transports du quotidien.

Les principaux impacts du délestage

En cas de délestage, les écoles seraient fermées sur les zones concernées. De plus, l'impossibilité d’utiliser certains transports publics serait inéluctable. 

Les coupures rendraient impossible toutes les communications électroniques, qu’il s’agisse d’internet ou de la téléphonie, à l’exception des lignes cuivre. En revanche, les numéros d’appel d’urgence devraient être opérationnels.

RTE a annoncé le début d’année 2023 comme étant à haut risque. La sobriété énergétique apparaît dès lors être la meilleure arme pour éviter le recours au délestage sur cette période.
 
Par Antonin Deville et Mathieu Palin, étudiants du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL
Source : Actualités du droit